Spongieux, vous avez dit spongieux ?

Il existe très peu de documentation disponible sur les éponges, même dans la communauté scientifique. Leur maintenance et leurs besoins sont aussi mystérieux pour les biologistes marins que pour l’aquariophile récifaliste. Les éponges représentent pourtant la seconde source de biomasse sur les récifs, juste après les coraux. Malgré cette ignorance, il est surprenant de noter combien nombreuses sont les personnes les maintenant. Le conseil principal pour bien commencer avec votre éponge est de ne jamais la sortir de l’eau. Cela oblige à une certaine gymnastique lors de l’acclimatation, mais cela est absolument nécessaire si vous voulez démarrer avec toutes les chances de votre coté. Nous verrons plus loin pourquoi.

Un peu de systématique

Dans un premier temps, il peut être intéressant de situer les éponges par rapport à nos hôtes habituels, les coraux. Voici donc un petit extrait de classification systématique :

Eucaryotes

(Organisme
composé de cellules dans laquelle le noyau est séparé du
reste de la cellule par la membrane nucléaire, au contraire
des Procaryotes)

 

Règne

Embranchement

Classe

Famille

Metazoa
(Animaux)

Eponges
(Poriferes)

Eponges
calcaires (Calcisponges ou Calcarea)

Calcinia
Calcaronia 

Eponges
cornées (Démosponges ou Demospongiae)

Homoscleromorpha 
Tetractinomorpha 
Ceractinomorpha 

 

Hexactinellida

 

 

Cnidaires

Hydrozoaires

 

 

Anthozoaires
(Coraux)

 

En parallèle de cette systématique ‘classique’, le règne des animaux est quelquefois divisé en deux sous-règnes, dont une spécialement dédiée aux éponges. C’est dire la difficulté de situer ces ‘presque animaux’ dans une classification claire. Le sous-règne dédié aux éponges est appelé Parazoa (para=presque, zoa=animaux), l’autre (dont nous faisons partie ainsi que les coraux) étant dénommé Eumetazoa (Eu=vrai, meta=beaucoup, comprendre beaucoup de cellules, et zoa=animaux).

Le mot Porifère parle de lui-même est décrit parfaitement la structure extrêmement … poreuse des éponges.

L’embranchement des Porifères comprend 4 classes (dont une éteinte dont on ne parlera même pas). Parmi les 3 restantes, 2 seulement sont réellement significatives :
– les Calcarea qui, comme leur nom le laisse deviner, ont un squelette fait de spicules microscopiques, composé de carbonate de calcium (en fait de la calcite). Ces éponges ne se trouvent qu’en eau de mer. Ce ne sont pas les plus communes dans la nature, mais ce sont celles que l’ont retrouvent communément dans nos décantation ou dans les surverses. Elles ont la tailles de grains de riz.
– les Démosponges dont les spicules sont composées d’une substance voisine du collagène: la spongine additionnée d’acide silicique. Ce sont les éponges de nos salles de bain. Cette classe d’éponges a une aire de répartition particulièrement vaste puisqu’on les trouve aussi bien en eau de mer qu’en eau douce en passant par l’eau saumâtre.

Les Démosponges comprennent quatre ordres, différenciés selon le type de spicules : les Tétractinellides (ou Tétraxonides), les Monaxonides, les Monocératides (dont l’éponge de toilette, Euspongia Officinalis) et les Hexacératides.

Les éponges comptent 5000 espèces particulièrement difficiles à identifier. En effet les éponges ont la capacité d’adapter leurs formes aux conditions extérieures (courant, support). On dit qu’elles sont polymorphiques (tubulaire, sphéroïde, incrustante): on ne peut donc compter sur leurs formes pour les identifier. Seules leurs spicules peuvent permettre une identification à coup sûr (ou presque).

Eponge bleue
Eponge bleue

Structure et biologie

En dehors d’un positionnement différent dans la systématique, la différence fondamentale entre les coraux et les éponges est le caractère extrêmement primitif de l’éponge. Une éponge peut être considérée comme un agrégat de cellules, pas même collées entre elles (pas de desmosomes) alors que dans les autres animaux, les cellules forment des tissus différenciés qui eux-mêmes forment des organes.

Cependant il existe plusieurs types de cellules dans une éponge et le plus incroyable est qu’une même cellule peut assurer une fonction différente selon son emplacement et les besoins de l’éponge à un moment donné. Les mécanismes régissant cette remarquable propriété sont pour le moment totalement inconnus.

Pour illustrer cette faculté étrange, Ron Shimek a même tenté l’expérience suivante: après avoir mixé (si si !) une éponge avec de l’eau de mer, il filtre le mélange afin d’en enlever les plus grosses particules et laisse reposer le filtra composé des particules dans un Becher rempli d’eau de mer propre. Une semaine après, de nouvelles petites éponges tapissent les parois du récipient.

Pour les amateurs de nom latins en italiques, les principaux types de cellules sont :
– les choanocytes qui sont munies d’un cil vibratile (flagellum). Elles sont responsables de la circulation de l’eau dans la structure de l’éponge. Ces mêmes cellules capturent les éléments susceptibles de nourrir l’éponge grâce à une batterie de ‘microcils’ entourant le flagellum,
– des cellules libres appelées ameobocytes circulent parmi les canaux internes. Elles ingèrent elles aussi les algues microscopiques, protozoaires, et autres particules organiques d’une taille comprise entre 2 et 5 microns,
– les pinacocytes qui couvrent la surface extérieure à l’image de tuiles, d’ailleurs assez mal ajustées,
– les porocytes qui comme leur nom l’indique sont poreuses. Elles permettent le passage de l’eau de l’extérieur vers l’intérieur de la structure,
– les sclerocytes fabriquent le squelette,
– les miocytes sont responsables du peu de mouvement dont est capable une éponge, à savoir la lente ouverture ou fermeture des ouvertures principales.

Elles n’ont pas de système nerveux à proprement parler, ni de structure sensorielle, mais la possibilité d’une conduction diffuse, non polarisée.

La structure, la forme et la complexité de l’ensemble permettent de définir trois types principaux d’éponges: Ascon, Sycon et Leucon. Les ascons ont deux ‘sorties’ d’eau (appelées ‘oscules’) et une forme de haricot, alors que les sycons et leucons n’en ont qu’une et ont une forme de vase ou de tube ferme à une extrémité. Les leucons ont la structure la plus complexe et les parois les plus épaisses, alors que les Sycons ont une paroi très fine, ce qui les rend quasiment intransportables.

Les tissus sont parcourus par un réseau de canaux microscopiques qui relient l’extérieur à la cavité interne. Une observation attentive de l’éponge dans son milieu permet de découvrir une circulation d’eau qui entre par les innombrables pores qui tapissent la surface externe (ostia) et sort par l’oscule. La quantité d’eau filtrée est proprement incroyable : elle peut atteindre 22.5 litres par jour pour un spécimen de 10cm de haut et 1 centimètre de diamètre !

La vie de l’éponge dépend de ce mouvement qui apporte à l’intérieur de son corps l’oxygène et les aliments sous forme de particules microscopiques. La moindre bulle d’air obstruera définitivement le canal dans lequel elle s’est introduite, conduisant au pourrissement et à l’asphyxie de cette zone. C’est pour cela que, comme on l’a vu en introduction, il est préférable de laisser immergée l’éponge en permanence.

L’éponge se nourrit d’organismes de taille inférieure à 0.01mm par trois voies :
– les choanocytes, déjà cités plus haut.
L’eau une fois filtrée (jusqu’à 2000 litres / jour pour les plus grands spécimens) ressort par le ou les oscules, poussée par les cils vibratiles des choanocytes
– ingestion au travers des cellules externes
– enfin absorption des matières organiques dissoutes.

Il est admis que les bactéries ou d’autres particules de tailles similaires constituent la seule chose que les éponges assimilent. Ce qui somme toute est plutôt une bonne nouvelle: inutile de penser à une alimentation spécifique …
En plus de ce mode d’alimentation, la symbiose est une chose assez commune chez les Spongiaires. Et ce, non seulement avec les habituelles Zooxanthelles, mais de façon plus originale avec des bactéries et même de façon absolument unique dans le règne animal avec des cyanobactéries.

La raison de la coloration des éponges reste encore mystérieuse, mais ce n’est pas comme on pourrait le croire ni un indicateur de la profondeur de provenance, ni une arme de dissuasion envers leurs prédateurs. En effet, on trouve des éponges très colorées à de grande profondeur, là où les couleurs ne sont plus perceptibles. D’autre part certaines des éponges les plus vivement colorées sont totalement exempte de produits toxiques.

D’ailleurs à ce sujet certaines éponges peuvent être tellement toxiques qu’elles sont à proscrire totalement de nos bacs, tant pour la santé de vos locataires que pour la vôtre : voir cet article de Ronald L. Shimek pour plus de détails.

Reproduction

Les éponges sont capables de reproduction sexuée et asexuée. Elles sont hermaphrodites mais produisent le sperme et les oeufs à des moments différents. Les modes de reproduction asexuée sont extrêmement variés et une même éponge peut mettre en oeuvre des stratégies différentes suivant le contexte. Citons par exemple : fragmentation, bourgeonnement, et on soupçonne même une possible production de larves de façon asexuée.

Liens, bibliographie :

Les bons articles pour commencer :
– Ron Shimek :
– Some Truths about Sponges

– Sponges : pump-filter modules through space and time …
Sponges, out from under the counter …
– Rob Toonen : A Reefkeeper’s Guide to Introductory Invertebrate Zoology. Part 1: Sponges

et encore :
Introduction to Porifera
The Skeleton of Sponges
Organisation of the Poriferan body
Sponges of the northeast Pacific

De très bon croquis :
Structure of a sponge
Sponge cells

Un crabe camouflé :
Decorator crab

Un peu de classification systématique autour des éponges :
The Tree of Life Web Project

Une doc complète et une somme d’articles intéressants :
Sessile Marine Invertebrates