Sous ce titre digne d’une fable de La Fontaine se cache une des pires bouteilles à l’encre de l’histoire de l’aquariophilie.
Vieille histoire en effet que le joyeux mélange fait entre ces trois mesures, pourtant essentielles, et finalement assez facile à dominer.
La théorie :
Éclairons cette confusion à la lumière de définitions précises de ces grandeurs :
– La salinité a pour unité les ppt (parts per thousand, ou parts pour mille). C’est la quantité en grammes de sels dans un kilo d’eau. ‘Sels’ est bien au pluriel, car on mesure tous LES sels. La seule méthode fiable est d’évaporer l’eau et de mesurer le poids des sels restants. Le process d’évaporation est extrêmement complexe et précis afin de ne pas faire évaporer certains des sels qui sont très volatils.
La salinité est donc indépendante de la température. Mais on voit tout de suite la non concordance de cette mesure avec des mesures faites avec de la ‘vraie’ eau de mer, puisque les concentrations et teneurs en sels ne sont pas les mêmes entre nos eaux reconstituées et l’eau de mer. C’est la grandeur que l’on peut mesurer indirectement avec un conductimètre, mais au bémol près énoncé dans la phrase précédente. De plus, n’oubliez pas de corriger la lecture en fonction de la température si votre appareil ne le fait pas automatiquement: la conductivité elle, varie en fonction de la température.
Les valeurs extrêmes vont de 26 à 42 ppt. Shimek et Borneman recommandent de se tenir dans les 35-36 ppt.
On peut aller faire un tour ici pour avoir une idée des valeurs de salinité en surface de part le monde.
– Dans l’absolu, la densité est un rapport entre une masse et un volume (par exemple, le concombre a une densité de 89,5 kg/m3). On l’appelle aussi ‘masse volumique’.
Pour égarer un peu plus les esprits, cette mesure pour les liquides a une autre définition, un peu différente : c’est le rapport des masses entre 1 litre du liquide à mesurer à la température au moment de la mesure et 1 litre d’eau distillée à 4°C.
Pourquoi 4°C ? Parce que c’est à cette température que l’eau à sa densité maximale … Mystère de la physique.
Selon cette définition, la densité n’a pas d’unité puisque c’est un rapport de deux grandeurs ayant les mêmes unités.
Je vais tout de suite simplifier les choses en vous confiant un secret : 1 litre d’eau distillée à une température de 4°C a une masse de … 1kg. Vive la cohérence du système métrique (car si 1 cm3 d’eau pure à 4°C pèse 1 g, il en va tout autrement dans les pays anglo-saxon : 1 foot cube pèse 62.4 pounds …) !!!
Donc la densité = masse de 1 litre du liquide à mesurer à sa température au moment de la mesure. Ouf, c’est plus simple vu comme ça.
Bon, on réfléchit 2 secondes : la température fait augmenter le volume de l’eau que l’on mesure. Donc en masse, on mettra moins d’eau chaude dans 1 litre que d’eau froide. Donc la densité baisse quand la température augmente … Rien de drôle.
En océanographie on ne s’embarrasse pas de toute ces circonvolutions : la densité désigne aussi la masse volumique (en kg/m3) , mais par commodité on soustrait 1000 à cette valeur : d’une eau ayant une masse volumique de 1001,24 on dira qu’elle a une densité de 1,24. De plus les océanographes tiennent compte de la pression, ce dont on peut se passer dans nos bacs étant donné leur faible profondeur.
Voir l’excellent site d’Olivier Lecalve pour plus de précisions sur la définition de la densité.
Ce site propose en outre une calculette extrêmement pratique.
– La densité spécifique (specific gravity) maintenant.
C’est une valeur essentielle à comprendre car c’est celle donnée par les hydromètres ou aréomètre (si si, aRÉOmètre) et autres merdouilles en plastique à aiguille articulée.
La traduction littérale de ‘specific gravity’ est ‘densité’, mais une fois de plus, on va voir que la définition physique de cette grandeur est un poil différente.
En physique, ‘spécifique’ indique un rapport. La densité spécifique correspond au rapport entre la densité d’une substance (notre eau du bac) et la densité d’un volume équivalent d’eau pure à 4°C. On peut donc rapidement simplifier le rapport en divisant en haut et en bas par la même valeur, afin de ramener les volumes à 1 litres au numérateur et au dénominateur.
Et comme la densité d’un litre d’eau pure à 4°C est égale à 1, la densité spécifique = la densité. Attention, dans le système de mesure métrique seulement.
Cette valeur n’a donc pas d’unité non plus.
Quelques ordres de grandeur de ‘specific gravity’ :
Matière | Specific Gravity |
---|---|
Eau à 4ºC (Densité maxi) | 1.0 |
Eau à 100ºC | 0.9584 |
Glace | 0.88-0.92 |
Eau de mer | 1.02-1.03 |
Le fait que des grandeurs qui finalement ont des définitions assez simples, et qu’ il semble si facile à rapprocher a longtemps été un mystère pour moi, jusqu’au moment où j’ai décidé d’écrire cet article … Et là BINGO: en discutant de cela avec des correspondants Américains, je me suis aperçu que la confusion et la complexité apparentes viennent en fait du système de mesures Anglo-saxon qui rend ces simplifications impossibles et jette irrémédiablement un voile brumeux sur l’ensemble du système de mesure des volumes et poids.
Et c’est aussi pour cela que beaucoup d’auteurs modernes parlent en Métrique (le dernier Borneman par exemple, où toutes les mesures sont d’abord données dans les unités du Système Métrique).
Bon, arrêt pipi.
Et on résume :
- La salinité ne varie pas en fonction de la température, c’est un rapport de poids (grammes de sels dans 1 kilo d’eau). La conductivité n’est par contre pas une lecture directe de la salinité (dépendant de la composition ionique et de la température). Unité ppt.
- La densité varie en fonction de la température, elle est égale à la masse de 1 litre du liquide à mesurer à sa température au moment de la mesure. Pas d’unité ou en kg/m3.
- La gravité spécifique est égale à la densité dans notre système de mesure. Elle varie donc aussi en fonction de la température. Pas d’unité.
La pratique :
Jusque là rien de drôles ni d’incompréhensible (quoique…), mais là ou ça se corse, c’est que la seule mesure intéressante ou réellement significative de la quantité de sel dans votre bac est la salinité …
Effectivement c’est la seule valeur indépendante de la température, et c’est la grandeur qui est en général utilisée dans les cartes de répartition de la salinité dans les océans. Et surtout il est pratique d’avoir directement la masse de sel par litre dans l’eau de son bac, afin de l’ajuster si nécessaire, ou dans le but de préparer un changement d’eau.
Hors, on vient de voir que la salinité n’est directement mesurable qu’en suivant un protocole d’évaporation inaccessible au particulier.
Il ne reste plus que la densité. Les seuls instruments relativement bon marché disponibles pour l’aquariophilie sont les hydromètres. Mais les hydromètres sont conçus pour donner une mesure de la densité à une température donnée, dite d’étalonnage. En général en France, la température d’étalonnage est de 25ºC. Ce qui veut dire que dès que la température du bac n’est plus à 25ºC exactement, la mesure lue est fausse.
Donc à moins d’avoir un conductimètre qui compense automatiquement la valeur en fonction de la température, il va falloir passer par des tables de compensation de la température.
Je vous conseille d’oublier immédiatement les pseudo densimètres à aiguille flottante qui sont d’une imprécision honteuse pour un prix exorbitant. Choisissez plutôt un hydromètre flottant, légèrement plus cher mais quasiment inusable et à peu près fiable.
Voici des abaques qui vous aiderons à convertir la mesure lue sur l’hydromètre en une mesure exacte, correspondant à la température de votre bac. Ce premier abaque donne la valeur la salinité de l’eau en fonction de sa température et de sa densité.
Par exemple si votre densité est de 1023 pour une eau à 26°C, la salinité est alors de 35 ppt.
Cette densité peut être mesurée à une température différente de celle d’étalonnage de l’hydromètre, mais il faut alors corriger la lecture.
L’abaque ci-dessous donne cette correction pour un hydromètre étalonné pour une température de 25°C.
Si l’eau fait 27°C, il faut soustraire 0,6 à la valeur lue (pour une valeur de 1024 lue, la densité réelle est de 1023,4).
On voit que la salinité influe sur ce résultat, mais de façon très minime. Ce facteur peut être négligé pour nos mesures déjà bien approximatives, de part la piètre qualité du matériel proposé en aquariophilie.
Voili, voilou, ce fut un article certes un peu ardu, mais aura j’espère éclaircit les idées sur ces unités et grandeurs utilisées avec désinvolture, mais souvent sans être comprises.
Liens, bibliographie :
- Le site d’Olivier Lecalve, où vous pourrez trouver une calculatrice fort pratique pour vous aider dans les conversions « salinité densité ».
- What are Natural Reef Salinities and Temperatures … Really … and Does It Matter? : Aquarium Frontiers Nov 97. Article de Shimeck.
- Using Conductivity To Measure Salinity : Aquarium Frontiers. Article de Randy Holmes-Farley.
- www.rshimek.com L’opinion de Shimeck sur la température idéale dans nos bacs.
- AquaCraft. Site commercial, mais qui le mérite de faire de l’information.
- Specific Gravity: Oh How Complicated! : Advanced Aquarist Jan 2002
- Specific Gravity & Salinity : WetWebMedia.
- Quelques liens vers des sites en « .edu » :
- http://www.essex1.com/people/speer/density.html
- http://sam.ucsd.edu/sio210/lect_2/lecture_2.html
- http://stommel.tamu.edu/~baum/paleo/ocean/node35.html#salinity
- http://fermi.jhuapl.edu/denscalc.html